
Le cinéma s’intéresse davantage aux histoires de détectives privés qu’aux intrigues de chefs d’entreprise. Alors si en plus le patron est une patronne, le champ se réduit encore davantage. Dans cette série d’été, nous avons retenu quatre films, français et américains, de 1933 à 2017, dont l’héroïne est une dirigeante. A poigne ou sensible, dans l’univers de l’industrie ou celui de la mode, respectée ou honnie, vertueuse ou scandaleuse, elles disent toutes quelque chose de la société dans laquelle elles évoluent et de la façon dont elles sont perçues. Pour L’Express, de grandes patronnes d’aujourd’hui ont apporté leur regard sur leurs consoeurs de fiction.
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Bandeau série d’été 2023
© / L’Express
Mettre en scène une femme juive aux mœurs très libres, à la tête d’un journal financier et d’un établissement bancaire, pratiquant escroquerie et abus de confiance dans la France de l’entre-deux-guerres, il fallait oser. Si ce n’est qu’avec Romy Schneider en haut de l’affiche, le réalisateur Francis Girod tenait dans sa manche un atout maître. Et que la trame de La Banquière (1980) n’a finalement rien d’extravagant : le personnage d’Emma Eckhert est tiré d’une histoire vraie, celle de Marthe Hanau, une amazone de la finance dans le Paris des années folles. Un siècle plus tard, les femmes sont bien plus nombreuses dans les Comex des établissements… et font moins scandale. Marguerite Bérard, directrice de la banque commerciale en France de BNP Paribas, trouve à ce film une saveur particulière, à plus d’un égard. Cette quadragénaire est une inconditionnelle de l’actrice principale, découverte dès l’enfance dans la série des Sissi. Elle connaît toute la filmographie de la star née à Vienne et disparue il y a quarante ans. Elle conserve enfin précieusement l’ouvrage qu’avait consacré, en 2017, Isabelle Giordano à Romy, quelques années avant que l’ancienne Madame cinéma de Canal + n’intègre la Fondation… de BNP Paribas.
“Romy Schneider est excellente”
Condisciple d’Emmanuel Macron à l’ENA dont elle sort major, inspectrice des finances et ancienne conseillère de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, Marguerite Bérard a rejoint la rue d’Antin en 2018 après cinq ans au sein du groupe BPCE. Verdict d’une professionnelle sur La Banquière : “Ce n’est pas son meilleur film – Max et les ferrailleurs, La Piscine et encore davantage César et Rosalie sont un cran au-dessus selon moi. Mais Romy Schneider y est excellente, admire-t-elle, saluant aussi la qualité des dialogues. Ce qui m’a intéressée, c’est surtout l’inspiratrice du scénario. Marthe Hanau était une arnaqueuse, elle dirigeait La Gazette du franc, une feuille de chou truffée de délits d’initiés, et elle avait monté une véritable pyramide de Ponzi : elle payait les intérêts de ses clients avec l’argent apporté par les nouveaux. Une femme très haute en couleur, avec une personnalité hors du commun, qui se confrontait, sans peur, à un environnement d’hommes.”

La Banquière de Francis Girod avec Romy Schneider, Marie-France Pisier, Claude Brasseur
© / 1980 Studio Canal Image – France 3 Cinéma
Dans le film également, de nombreux mâles gravitent autour de Romy. Des acteurs célèbres – Jean-Louis Trintignant, Jean-Claude Brialy, Daniel Auteuil, Daniel Mesguich et même Thierry Lhermitte, dans un petit rôle – qui paraissent pourtant bien fades à côté de la flamboyante Emma Eckhert, femme de condition modeste, ambitieuse, manipulatrice, qui se mue en pasionaria des petits épargnants. Dans le monde politique comme dans la presse, elle intrigue, inquiète, fait tourner les têtes. On la surnomme “la ravissante banquière” aussi bien que “Madame 8 %”, le rendement promis. Même Mussolini lui confiera ses deniers ! Cette force de caractère lui vaut, en retour, de solides inimitiés. “Le personnage n’est pas présenté comme malhonnête – il l’est en tout cas bien moins que son modèle ! Le film met surtout en scène la crise de confiance à laquelle elle doit faire face lorsqu’on menace de lui fermer ses guichets”, relève la dirigeante de BNP Paribas. Incarcérée, Emma Eckhert entame une grève de la faim et, plus morte que vive, parvient à s’évader, bien décidée à retrouver son honneur et à rembourser chacun jusqu’au dernier franc.
C’est un autre banquier, interprété par Jean-Louis Trintignant, qui provoque sa perte. Excédé par cette rivale qui promet monts et merveilles à ses souscripteurs, son personnage, Horace Vannister, manœuvre en coulisses avec le pouvoir politique. Comme Horace Finaly, lorsqu’il voulut mettre fin à la folle épopée de Marthe Hanau. Cet immigré de Budapest, proche de Marcel Proust et de Léon Blum, présidait la Banque de Paris et des Pays-Bas. L’ancêtre de Paribas. Un détail qui n’a pas échappé à Marguerite Bérard.
La Banquière (1980), de Francis Girod. Scénario : Georges Conchon et Francis Girod.
Avec Romy Schneider, Jean-Louis Trintignant, Jean-Claude Brialy…